Luciano Figueiredo crée patiemment, tel un logicien construisant un argument, un univers pictural clos et cohérent constitué de formes, de surfaces, et de couleurs dans leurs rapports réciproques. L’observateur attentionné ne manquera pas de percevoir l’activité effrénée dans ce monde de plans, de pleins, de vides qui vivent leurs palpitantes relations tantôt commensales, tantôt symbiotiques ou co-dépendantes. Seuls les rapports hiérarchiques sont absents, peut-être proscrits par la réglementation interne.

L’entreprise picturale de Luciano Figueiredo se base sur une réflexion rigoureuse. Chaque tableau démontre sa volonté de faire de la peinture sans liens avec le monde des apparences extérieures, et n’ayant rien de commun avec celle qui découle de la conception figurative. Ce parti pris insère Luciano Figueiredo dans une tradition moderniste de peinture non objective. Si l’art concret a nourri sa réflexion, il n’est pas néanmoins un suiveur intégriste de ce mouvement qui affirmait que l’œuvre d’art « doit être entièrement conçue et formée par l’esprit avant son exécution » car il raconte volontiers le processus qui l’amène à composer son tableau avec des formes redéployées par tâtonnements successifs.

Pas intégriste, Luciano Figueiredo est un pratiquant très intègre de cet art qu’on étiquette d’abstrait, non figuratif ou non objectif. Les signataires du manifeste Base de La Peinture Concrète prétendaient que le tableau « n’a pas d’autre signification que lui-même. » Cette définition pourrait aussi bien s’appliquer à l’oeuvre de Luciano Figueiredo si l’intégrité de son système de peinture n’était pas le garant d’une excitation visuelle qui semble d’emblée niée par cette description presque tautologique.

La prémisse régulatrice de ce système structuré par des règles qu’on devine au fil du regard se résume : pas d’illusionnisme. Bannies les techniques de re-représentation du monde. Que se passe-t-il dans ce cosmos constitué exclusivement de toile et de couleur ? Autant d’événements qu’on prendra la peine d’observer. Certains sont purement optiques : les juxtapositions de couleurs qui confondent la rétine et nous démontrent la réalité des théories de Johannes Itten. D’autres sont physiques : l’absorption du pigment par la toile va influencer la matière et faire en sorte qu’elle se rebiffe plus ou moins du plan pictural. Soumises à la lumière, ces projections créent des ombres. À force de faire le va-et-vient entre les données d’apparence si simples et les expériences sensibles multiples, on est vite dépassé par les événements, et voilà tout le secret d’un art discret et pudiquement ambitieux.

Rachel Stella

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